LE FEU EST VERT COMME UNE ORANGE

Lorsque je suis arrivée à Paris, j’ai rapidement vendu ma voiture. Je circulais alors à pied, à vélo, à moto, en métro et à rollers. Tranquille. Lorsque nous avons déménagé à Epinay, j’ai commencé par déprimer sec. Me sentais coincée dans mon pavillon de banlieue, entouré d’autres pavillons et, un peu plus loin, de cités aussi mornes qu’un congrès de l’UMP à Thionville, à la Toussaint. Une mienne amie, habitant elle aussi en Seine-Saint-Denis, m’a dit : “Ici, t’as le choix entre le Prozac et une automobile.” En voyant certaines mines féminines locales, enflées par l’excès d’antidépresseurs et d’anxiolytiques (et de Pringles goût bacon), j’ai choisi la seconde option. Et après, mon moral alla beaucoup mieux, merci... De l’influence de la banlieue sur les capacités visuelles Toutefois, il faut bien admettre que ma conduite automobile a quelque peu évolué... Ayant vécu dans le Puy-de-Dôme, le Nord et le Bas-Rhin, départements éminemment civilisés en matière routière (en tout cas, à l’époque), j’avais une conduite que nous qualifierons de « provinciale ». Elle s’est, depuis, légèrement banlieusardisée. La banlieusardisation de la conduite se manifeste notamment par une légère myopie (on ne discerne pas très bien les panneaux de limitation de vitesse) et une forme de daltonisme. Ainsi, à Clermont-Ferrand, Lille ou Strasbourg, un feu orange est orange. Dans le 92, le 93 et le 95 (je ne fréquente guère le 91 et le 94, mais je subodore qu’il en est de même), l’orange n’est jamais qu’une nuance de vert. Le vert est plutôt une couleur bucolique et apaisante. Sa version orangée a des vertus stimulantes et forestières, car on peut constater qu’elle pousse le conducteur à appuyer sur le champignon. Attention, si jamais un automobiliste a les yeux en face des trous, il risque gros : la voiture qui le suit a toutes les chances de l’emboutir, d’autant qu’à un stade avancé de banlieusardisation, le rouge devient également une nuance de vert. Autrement dit, avant de vous aventurer en territoire périparisien, faites un bilan ophtalmologique et, si besoin, changez de lunettes. J’ai moi aussi été gagnée par ce phénomène d’acculturation oculaire. Ainsi, l’autre jour, j’étais précédée par un véhicule, genre Jeep à la con, sur la route que je dois obligatoirement emprunter pour arriver chez moi. Or, après le pont d’Epinay, il y a un carrefour, connu comme le carrefour de “Putain-fais-chier-j’ai-encore-raté-le-feu”. Et de fait, si tu le rates, t’as le temps de lire Guerre et paix avant qu’il repasse au vert... Au carrefour, je positive... Y en a pas mal, dans le secteur, des carrefours dans ce genre-là, avec cinq artères qui se croisent et qui passent au vert successivement. Le département a dû connaître une génération d’ingénieurs de la DDE particulièrement affûtés... Du coup, ça pousse effectivement au daltonisme. Mais là, la Jeep n’avait pas l’air au courant des coutumes locales. Car, non seulement, elle s’est arrêtée à l’orange (!), mais en plus, elle a ralenti dès le vert, en prévision de l’orange (!!!!!!!!!!). Le truc qu’on t’apprend au permis de conduire et que t’appliques jamais, même à Clermont-Ferrand (c’est dire). Je peux vous dire que son conducteur a eu droit à un vrai spectacle son et lumières, à savoir le bruit exaspéré de mon klaxon, les éclairs interloqués de mes phares, ainsi que mes vociférations et gestes éloquents. Deux semaines plus tard, lorsque le feu lui donna enfin le vert-seing qu’il attendait, le gros 4x4 prit à gauche, comme moi. Puis encore à droite, devant la gare. Puis à gauche, encore comme moi. Oups ! Je me suis alors rappelé que notre voisin faisait des rallyes. Et qu’il y avait parfois une Jeep devant l’entrée de son garage... Il ne restait qu’une seule place dans la rue... juste derrière son gros engin. Trop youpi ! J’ai essayé de jouer la montre en faisant mine de farfouiller dans ma voiture (Tiens, mais qu'y a-t-il donc dans cette boîte à gants ? Un constat, des caramels et une contravention, c’est trop dingue...), mais ça le faisait pas. J’allais pas passer la nuit dans ma bagnole (Le voisin était avec sa femme et ils avaient manifestement 300 tonnes de matériel à décharger.) D’autant que, à l'arrière, mes filles s’interrogeaient : “Mais Maman, pourquoi on descend pas ?” Alors j’ai évacué ma progéniture à toutes berzingues, genre “Je suis hyper pressée, je crois qu’il y a le feu à la maison” , j’ai grimacé un vague “Bonsoir !” à mes charmants voisins et j’ai battu mon record personnel d’ouverture et de fermeture du portail. Je crois bien que je viens de paumer mes chances pour l’élection de la voisine de l’année !

Comments

[nele]

je ne savais pas que l'orange me stimulait, je pensais qu'il me donnait juste mauvaise conscience, parce que moi j'habite une petite ville de province où on respecte les feux oranges sauf moi ...

[saperlipopette]

va falloir que j'ouvre mon dictionnaire, tu fais exprès Karmara , je laisse plus de com . la prochaine fois , vexée , je quitte ce blog !

[mab]

Pas de dose Karmaresque ce matin?

[le-gout-des-autr]

µs c'est pour "microseconde".

[le-gout-des-autr]

µs c'est pour "microseconde".