TAVERNIER, UN B&B PLEASE !
Il est tard. Vous avez calé le Powerbook entre deux piles de serviettes éponge pour écouter en sourdine L'humeur vagabonde, dont l'invité est Bertrand Tavernier. Ecouter Tavernier parler du cinéma américain, c'est un de vos grands plaisirs dans l'existence, avec prendre un bain. Et les deux en même temps, juste ça n'existe pas dans la vie de d'habitude ! A part ce soir, Alleluiah !
Tavernier raconte comment, tout jeune homme, il a envoyé un courrier au réalisateur de westerns, et matador à ses heures, Budd Boetticher, pour solliciter une interview. Et comment Boetticher lui répondit qu'il y avait un léger souci... à savoir qu'il était en prison au Mexique et qu'il ne pourrait donc pas le recevoir dans l'immédiat. Mais le jeune Tavernier n'avait qu'à lui faire parvenir ses questions par courrier et Boetticher se faisait fort de lui envoyer un enregistrement avec les réponses. Tavernier lui adressa... 55 questions, et Boetticher lui renvoya une bande de 3 heures. Ils savaient vivre les réalisateurs, à cette époque !
Il évoque aussi une interview de John Ford, au bar d'un hôtel, le gars plus du tout étanche. Tavernier et deux comparses planquaient sous un canapé les innombrables verres de "B&B" (benedictine bourbon) que commandait le cinéaste, voire les buvaient en loucedé, pour le maintenir relativement opérationnel, tandis que le génial borgne se plaignait de la mauvaise qualité du service !
Bref, que du bonheur. Enfin, cinq minutes. Car vous êtes là, bienheureuse dans la mousse parfumée à la pomme (vous avez piqué le bain moussant de vos enfants), quand, sans crier gare mais en soufflant bruyamment, l'aérateur de la salle de bains se met à tourner comme un perdu, couvrant la voix de Tavernier. Et là, vous rêvez que Boetticher vous passe sa carabine Winchester pour faire taire une fois pour toutes ce putain d'aérateur (un bon aérateur est un aérateur mort) ou qu'un barman vous apporte un B&B bien tassé, histoire d'oublier que la vie, c'est moins bien que le cinéma.
(Si elle passe par là, spécial dédicace à Marine !)
(John Ford, photo de Richard Avedon, 1972)