LE DESTIN DE GINA-CLEMENTINE
Je me suis fait avoir comme une bleue. Partis à Truffaut pour acheter des graines pour les piafs du jardin, nous en sommes revenus avec un poisson rouge. Orange, le poisson rouge.
Je m'étais méfiée, pourtant :
“On va voir les animaux ? C'est sympa les hamsters...” a tenté Christophe.
Oula ! Alerte rouge !
“Désolée, mais je veux pas de souris à la maison !
- Mais c'est pas des souris !
- Ben moi, je vois pas la différence !
- Et si on allait voir les poissons !” a alors proposé Christophe, fin stratège.
J'ai suivi le mouvement sans entrain, étant totalement imperméable à l'aquariophilie. Les poissons, je les apprécie en liberté dans l'eau, à condition qu'ils ne viennent pas effleurer pas mes mollets, ou dans mon assiette, avec un filet de citron. Mais je me suis dit que ce serait un moindre mal par rapport à un rongeur à l'air chafouin.
Dix minutes plus tard, on était dans la voiture, moi au volant, Christophe tenant “notre” poisson rouge dans un sac plastique. Orange, le poisson rouge.
- Il faut lui donner un nom ! a proposé mon jules, décidément en verve.
- Déjà, faudrait savoir si cette sardine est une fille ou un garçon ! ai-je temporisé.
- Une fille ! se sont exclamées mes filles, de conserve (de poisson).
- Alors, je propose Clémentine, vu qu'il est orange notre poisson rouge ! (Des fois que ça vous aurait échappé.)
Ça a bien plu à Christophe et à Claire, mais Anouk n'a rien voulu savoir.
- Je veux qu'on l'appelle Gina !
- Non, pas Gina ! a protesté Claire. C'est moche Gina !
- Ecoute Anouk, on est trois à vouloir Clémentine. C'est la démocratie ! C'est comme Sarkozy, on n'a pas voté pour lui et il est quand même président de la République, parce que c'est la démocratie.”
- C'est nul la démocratie ! (Euh, j'ai pas dû choisir le bon exemple.) Puisque c'est ça, j'en veux plus de ce poisson !”
Et elle s'est mise à bouder. Pof, tu achètes un poisson rouge orange et c'est le waï au bout de dix minutes.Tout le monde a commencé à se prendre la tête pour cette poiscaille même pas comestible. On s'entendait plus dans cette bagnole. Seule la bestiole observait un silence prudent.
“De doute façon, les poissons sont sourds ! Donc chacun l'appelle comme il veut !
- Et si on l'appelait Gina-Clémentine ! Ça sonne grave. On dirait un titre de film : « Le destin de Gina-Clémentine ! »
- Tu parles d'un film palpitant... Elle va tourner toute sa vie dans son aquarium en bouffant ses granules. L'éclate intégrale... Non, on devrait l'appeler OranGina !
- Fais attention en conduisant, elle est complètement stressée, elle tourne dans tous les sens !
- Si elle s'appelle OranGina, on peut la secouer un peu !
- On pourrait l'appeler Luna... Ça te plaît Claire ?
- Oui, Anouk, ça me plaît.
- Mais ça veut rien dire les filles !
- A force, elle va être complètement schizophrène cette pauvre sardine.
- Ben non, puisqu'elle est sourde... En plus, elle a le Q.I. d'un poisson rouge !”
Arrivés à la maison, nous avons fait tout ce qui était indiqué sur la notice et installé Sardine dans son bocal. Pour la mettre à l'aise, au moment de nous mettre à table, je lui ai présenté un copain :
“Tiens, je te présente Saumon fumé... Je l'aime beaucoup. Demain, si tu veux, tu feras la connaissance de Thon au naturel. Mais là, il est pas là, il doit être en boîte.”
On lui a filé ses granules. Ce qui a provoqué une autre discussion passionnante sur la quantité de bouffe qu'il fallait lui donner. Je sens que les conversations piscicoles vont meubler intelligemment les longues soirées d'hiver...
Tout le monde est parti se coucher. Je suis seule en bas avec Sardine dans le salon plongé dans la pénombre. Elle est immobile. Avec ses yeux globuleux grands ouverts, je ne sais pas si elle dort… C'est con, mais je crois que je suis en train de m'attacher... Non, je déconne !
Clémentine, alias Gina, alias Gina-Clémentine, alias OranGina, alias Luna, alias La Sardine.
Epinay-sur-Seine, sur la cafetière électrique, 26 janvier 2009.