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Karmara : voyage en mère
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17 décembre 2008

ENFANT MODELE

Elle s'appelait Marie van Goethem. Elle avait 14 ans, en 1879, lorsque, petit rat à l'Opéra, elle fut le modèle de Degas. Avec son air rêveur et buté, son corps maigrelet, ce visage un peu prognathe, cette frange qui lui mangeait le front. Une petite fille encore.

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“La petite danseuse de 14 ans”, 1881, National Gallery Washington
(original en cire. L'exemplaire d'Orsay est un moulage en bronze, réalisé après la mort de Degas.)

J'ai découvert son destin le week-end dernier, dans un documentaire sur la chaîne Histoire. Une archiviste et historienne, Martine Kahane, a retracé la vie de la jeune fille, ou tout du moins une partie, à partir des registres du Palais-Garnier.

La mère de Marie était blanchisseuse. Elle élevait seule ses trois filles et les fit entrer à l'Opéra. Aujourd'hui, les petits rats sont un symbole d'excellence, de rigueur, d'innocence. A la fin du XIXe siècle, les petites ballerines, généralement issues de milieu très modeste, “tenaient compagnie” aux abonnés de l'Opéra. C'est sans doute de là que vient l'expression : “S'offrir une danseuse”. Mais je n'imaginais pas que la danseuse pût être si jeune.

Et Marie ne fit pas exception à la règle. Pis, sa mère poussa ses filles, au moins les deux aînées, à fréquenter cabarets et cafés, où elles se livraient à la prostitution. Antoinette, la plus âgée, fit de la prison et Marie fut renvoyée de l'Opéra en 1882, à 17 ans, à cause de ses absences répétées. On ne sait ce qu'il advint d'elles, mais, à en croire les spécialistes de cette époque, il est probable que les deux sœurs eurent une vie misérable.

Charlotte, la benjamine, sut s'affranchir d'une existence qui aurait pu (dû ?) être la sienne aussi. Elle fit une carrière honorable à Garnier. Puis elle devint professeur et resta à l'Opéra jusqu'à sa retraite, en 1933. Comme si l'exemple terrible de ses aînées l'avait aidée à trouver sa voie.

J'aime Degas. Lorsque j'ai découvert ses pastels, il y a quelques années, à Orsay, ça m'a fait un trou dans le ventre, comme quand on tombe amoureux. Je voyais ces ballerines avec mes yeux du XXe siècle. Joyeux essaim plein de grâce et de pureté. Sans vouloir penser à l'envers sordide du décor.

Trop souvent, nous croyons notre regard objectif. Mais il est filtré par le prisme de notre éducation, de notre personnalité, de notre vécu, de notre époque, de nos préjugés, de nos idéaux…

La prochaine fois que j'irai au musée d'Orsay, je ne verrai plus “ma” petite danseuse avec le même regard. Je penserai à Marie.

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Trois études de la petite danseuse, Art Institute of Chicago.

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Commentaires
C
SA triste existence, pas ça :( pfffffffffffff<br /> <br /> Si tu veux, je la mène à ses cours ;)
K
@Cibou : Anouk aimerait faire de la danse classique, elle aussi. Mais c'est le mercredi, à l'autre bout d'Epinay, et je bosse...<br /> <br /> @Mab : Si ! :))))<br /> <br /> @Series : Bonjour, touwwwwah !
S
merci
M
ce n'est pas l'anniversaire de Claire aujourd'hui?
C
je l'avais vu au Musée d'Orsay, mais j'ignorais ça triste existence... Nénette aussi a fait très longtemps de la danse classique... conservatoires... de beaux souvenirs. Merci pour cette histoire.
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