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Karmara : voyage en mère
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5 avril 2009

LES BOURREAUX MEURENT AUSSI, MAIS LONGTEMPS APRES

duchJe suis avec attention le déroulement du procès du responsable khmer rouge Douch. Parce que j'ai lu, en son temps, l'éprouvant mais indispensable livre de François Bizot, Le portail, qui dressait un portrait du Cambodgien. Douch l'avait retenu prisonnier durant quelques mois dans un camp, en 1971, au début de sa carrière de tortionnaire zélé de l'Angkar. Le livre montrait un Douch déjà fanatisé, mais chez qui restait encore une parcelle d'humanité. C'était avant qu'il ne devienne le chef de la prison S 21, où périrent 17 000 personnes. Seuls 7 prisonniers survécurent. Je suppose que cet ouvrage remarquable est l'une des raisons de l'intérêt des médias français pour ce procès.

Suivre cet événement, c'est  pour moi une manière d'essayer de comprendre les mécanismes du “mal institutionnalisé”. Comment des types qui ne sont pas forcément des pervers deviennent-ils des bourreaux sans limites sous couvert d'idéologie. On pense évidemment aussi à l'Allemagne nazie et au Rwanda.

A force de lire des livres et voir des documentaires sur ces tragédies, je finis par m'y perdre. Car j'espère toujours comprendre et, en même temps, entrapercevoir une parcelle d'espoir. En fait, j'aimerais changer l'Histoire, m'entendre dire que ce n'est pas possible, et donc pas vrai. Or, ce n'est pas possible, mais vrai quand même.

Ce qui est étonnant dans le procès de Douch, c'est qu'il reconnaît (en partie) sa responsabilité et demande pardon à ses victimes. Stratégie ou réel repentir, lui seul le sait. Mais c'est une attitude rarissime chez les bourreaux. Au procès de Nuremberg, en 1945, seul Speer reconnut ses responsabilités. Ce qui lui valut l'indulgence des juges (il était très très malin, Speer…). Quant à Eichmann, en 1961, il se contenta de répéter qu'il n'avait fait que suivre les ordres (ce qu'affirme aussi Douch).

duchZEn tuant à grande échelle, ces hommes montrent qu'ils n'accordent aucune valeur à la vie humaine. Pour accomplir leur  besogne, il leur faut se persuader qu'ils valent mieux que leurs victimes. Pour cela, ils leur dénient la qualité même d'êtres humains. Et plus ils se montent cruels, plus cela “prouve” que l'autre n'est rien. Dans le film de Rithy Panh, “S21, la machine de mort khmère rouge”, un rescapé, s'adressant à ses anciens gardiens, fait remarquer qu'on ne parlait même pas de “tuer”, ce qui humaniserait l'acte, mais de “destruction”, comme pour un objet (une terminologie que l'on retrouve aussi chez les nazis).

En reconnaissant leur responsabilité, les bourreaux bouleverseraient leur vision du monde. Ce serait reconnaître à leurs victimes leur qualité d'hommes, et ce sont eux qui basculeraient dans le camp de l'inhumanité. De la barbarie. Ces hommes, persuadés de leur supériorité, ne sauraient le concevoir.

LA VISION DE L'ARTISTE

Dans une expo à Beaubourg, l'an passé, j'ai découvert une œuvre du grand artiste contemporain Maurizio Cattelan. On pénétrait dans une salle, et face au mur du fond, on découvrait, de dos, un personnage de petit gabarit en train de prier.

himcatellan

Lorsqu'on le contournait, pour aller voir son visage, on le découvrait, "lui” (titre de l'œuvre : “Him”) :

him2

J'ai eu un sursaut d'effroi, puis j'ai longuement observé les visiteurs face à cette œuvre. En général, le même mouvement de surprise, parfois un petit rire nerveux, un malaise. Car on sait que même s'il avait survécu à la fin de la guerre, il n'aurait jamais manifesté le moindre repentir. Et d'ailleurs, qui aurait pu lui pardonner ?


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Commentaires
C
Je suis d'ac avec toi, mais lis "le tunnel" et tu verras ce à quoi je pense....
L
christophe> Je m'incris en faux à propos des kapos.<br /> Ce serait très long à expliquer mais un jour viendra (qui n'est pas loin, ou les petits oiseaux, etc...).<br /> Pas d'excuse mais des raisons, une situation indémerdable qui...
C
"Les Bienveillantes " donnent des réponses assez terribles à toutes ces questions... car ce qui est terrible, ce n'est pas le dictateur sanguinaire, qui à la faveur d'un hoquet de l'histoire - souvent la faiblesse ou l'incurie du pouvoir en place - se retrouve à la tête du systeme. Non, ce qui est terrible, c'est le lambda qui pour quelques raisons curieuses devient un assassin fanatique, un bourreau sans conscience, sans pitié et souvent sans remords. C'était le cas des SS, des Kapo, des snipers de Yougoslavie et des bouchers du Rwanda.... c'est souvent un abandon de toutes responsabilité au sus nommé dictateur.Une course en avant qui justifie le crime précédent par un crime encore pire, qui transforme la victime en coupable. Comment pardonner ? Comment chatier autrement que par la mort ? Parce qu'il y a des resistants qui donnent leur vie pour les autres....par equité pour eux. Par sécurité : le bourreau ne peut être soigné, et s'il l'était, l'horreur de ses actes serait une torture pour lui....
L
applicable (je corrige moi-même...)
L
Le bouquin, c'est "le coeur conscient" de Bettelheim.<br /> <br /> Pour le reste, les bourreaux sont comme les généraux, ils ont tendance, sauf exception, à mourir dans leur lit.<br /> Pour Adolf, il est impardonnable, mais comment châtier de tels crimes ?<br /> C'était, je crois, l'utilité de l'ostracisme, difficilement aplicable aujourd'hui. La cupidité l'emportant souvent sur toute autre considération. C'était un châtiment qui aboutissait souvent au suicide...<br /> Une délégation au coupable de la peine de mort, en somme. Mais le bourreau était le coupable, ou comment sauvegarder toutes les apparences de la civilisation...
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