ETTORE SCOLA : UNE SOIREE PARTICULIERE
La projection se termine. Cinq cents personnes se précipitent dans le grand hall où, sur une table ridiculement petite, les attendent deux pains surprises et deux plateaux de petits fours. Les plus hardis se jettent dans la mêlée. Les mammies du cru, endimanchées et permanentées, sont les plus redoutables. Jouant des coudes avec une vigueur étonnante et usant éhontément de leur (supposée) faiblesse, les diablesses se sont infiltrées jusqu’au centre de la table et n’en bougent plus. Une sorcière aux cheveux de gorgone bouscule tout le monde : “Nous, on n’est pas servis !”
Hier soir, c’était vernissage au Centre des arts d’Enghien. Ce qu’il y a de bien lorsqu’on habite en banlieue, c’est qu’il suffit d’aller voir une expo pour se retrouver sur un listing. Alors qu’à Paris, ce genre de pince-fesses est réservé à un petit cercle fermé à double tour.
Objet de l’exposition : les dessins du cinéaste italien Ettore Scola (Ettore Scola, une pensée graphique). Avant de faire du cinéma, il était journaliste et caricaturiste de presse et n’a jamais cessé de dessiner depuis. Son trait est à l’image de ses films, acéré et généreux*.
Fellini vu par Scola
Bon, on est à Enghien… (plusieurs fois évoquée ici) Les conversations sont, forcément, très couleur locale.
– Notre président se réclame d’Edgar Morin. Mais c’est un homme de gauche, ce Morin !
– Ah bon ?
– Ah oui, très très à gauche, même...
Un peu plus tard, après la diffusion d’un documentaire sur Scola, le cinéaste viendra parler sur la scène de l’auditorium. Il évoquera sa rencontre avec le critique Jean A. Gili, également présent.
– Quand j’ai connu Jean, il avait les cheveux noirs. Moi, par contre, je n’ai pas changé. C’était il y a plus de 40 ans. Je me souviens de cette soirée. Il y avait Pasolini aussi. C’était à la Fête de l’Unità (le quotidien communiste italien)... Mais ce sont nos souvenirs, ça n’intéresse personne !
Ettore Scola et Jean A. Gili
Scola a 76 ans. Il semble un peu las, écrasé par tous ces honneurs. Il parle dans ce français teinté d’accent qu’on aimait tant chez Mastroianni. Le propos est moqueur, pour les autres et pour lui. Le directeur du Centre des arts annonce la projection de deux sketches des Nouveaux monstres. Scola se voûte sous les compliments. Il vanne gentiment le directeur sur son âge et poursuit :
– Dans Les nouveaux monstres, le meilleur sketch avait été réalisé par Monicelli. Comme il n'est pas là ce soir, vous allez vous contenter des miens...
Un moment suspendu, d'humanité et d'humour. C'était juste avant la ruée sur le buffet. Et là soudain, on se serait crus dans un (mauvais) remake des Monstres.
*Macaroni (1985), avec Mastroianni et Lemmon, figure dans mon panthéon personnel. Une journée particulière et La nuit de Varennes aussi. Je suis moins fan de la veine satirique d’Affreux, sales et méchants.